À cheval entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, la ville de Londres était une casserole bouillonnante de volonté scientifique et de désir d’innovation, notamment dans le domaine de l’horlogerie. C’est là que George Graham a pu donner libre cours à son immense talent d’horloger, et offrir au monde ses mécanismes d’horlogerie de haute précision. Généreux et altruiste, celui qu’on appelait affectueusement « Honest George » ne voulait ni argent, ni célébrité : il n’avait d’yeux que pour le progrès de la science et les bénéfices qu’en pouvait tirer l’humanité.
George Graham : la mécanique du cœur
La vie de George Graham est indissociable de celle de l’homme qui fut son mentor et ami, Thomas Tompion. D’abord collaborateur de Tompion à partir de 1695, Graham devint ensuite son associé (autour de 1711) avant de prendre sa succession après la mort du maître. En épousant l’une des nièces de son mentor, Elizabeth, en 1696, il devint également un membre de la famille. Leur relation professionnelle et amicale était si intime et si forte, qu’à son décès, Graham fut enterré aux côtés de Tompion dans l’abbaye de Westminster, un honneur traditionnellement réservé aux personnalités de haute naissance.
Graham a-t-il trouvé en Tompion un père de substitution ? C’est en tout cas après le décès du sien qu’il quitte sa ville natale de Kirklinton, où il a vu le jour le 7 juillet 1673 dans une famille de Quakers. À 15 ans, ayant rejoint Londres, il devient apprenti auprès de Henry Aske pendant sept ans. Son travail est si impressionnant qu’il attire l’attention du célèbre Thomas Tompion, immense horloger qui s’est rendu célèbre par la fabrication de montres en série, toutes numérotées. Graham le rejoint en 1695 et débute ainsi une longue histoire de collaboration et d’amitié. Le jeune homme bénéficie à la fois de l’influence de son mentor et de l’exceptionnel contexte qui est celui de la ville de Londres à cette époque – l’endroit où il fallait absolument être lorsqu’on s’intéressait de près ou de loin aux mécanismes d’horlogerie.
Lorsque Tompion décède en 1713, il confie à Graham, par testament, les rênes de son affaire. Complètement libre de ses mouvements, Graham mêle efficacement son goût pour l’innovation et sa technique horlogère de précision pour améliorer des mécanismes existants (comme l’échappement en « auge de cochon ») et créer ses propres nouveautés – ainsi, en 1715, l’échappement à ancre sans recul, et en 1726 le pendule à mercure. Son intérêt marqué pour l’astronomie le pousse également à concevoir des instruments de précision dans ce domaine, notamment le « secteur astronomique » toujours visible à l’Observatoire de Greenwich.
Mais pour George Graham, les horloges ne sont pas une fin en soi. L’homme est mis en mouvement par une puissante mécanique du cœur, qui en fait l’un des scientifiques les plus généreux et altruistes de son temps. Non seulement il ne cherche pas à gagner d’argent avec ses inventions, auxquelles il laisse un total libre accès, mais il participe en outre au financement des jeunes talents qui l’entourent. Ainsi, le jour même où il est présenté à John Harrison, après plusieurs heures à parler horloges et pendules, Graham conclut ce premier entretien en accordant à son jeune confrère un prêt dénué d’intérêt afin qu’il poursuive ses recherches en vue de la mise au point du chronomètre de marine H1. Par la suite, il n’hésitera pas à faire connaître Harrison auprès du Bureau des Longitudes et à réclamer pour lui un support financier additionnel.
Inhumé dans la même tombe que son ami et mentor Thomas Tompion, à Westminster, après son décès le 16 novembre 1751, Graham deviendra un nom référence dans l’histoire de l’horlogerie.
Ses inventions
Peu nombreuses, les inventions dues à George Graham ont néanmoins été déterminantes.
- 1915 : invention de l’échappement à ancre sans recul pour pendules, dit « échappement de Graham ». Cet échappement est toujours utilisé dans les horloges de haute précision.
- 1925 : perfectionnement de l’échappement en « auge de cochon ». Cet échappement, le premier à cylindre de l’histoire, est parfois attribué, à tort, à Graham. En réalité, celui-ci l’a « seulement » amélioré et intégré dans l’une de ses horloges en 1715, mais c’est bien Thomas Tompion qui le mit au point, et l’utilisa dans une horloge fabriquée à l’attention de Jonas Moore, ainsi que dans deux régulateurs construits pour l’Observatoire de Greenwich. À partir de 1726, il équipe toutes les montres fabriquées par Graham.
- 1926 : invention du pendule à mercure, dit « pendule Graham ». Il réduit les effets des variations de température. Le degré de précision extrême atteint par ce mécanisme, dès lors qu’il est combiné à l’échappement de Graham, attribue à ces horloges le nom de « régulateurs ». Seul l’invar, mis au point par Charles Edouard Guillaume en 1895, dépassera la précision du pendule à mercure.
Graham a également conçu plusieurs appareils de vision astronomique, comme le « secteur astronomique », et contribué au prestige de cette discipline. Au-delà de ses inventions qui ont accompagné James Bradley dans ses découvertes célestes, on doit à Graham le vaste cadran mural de l’Observatoire de Greenwich, imaginé et fabriqué à la demande de Edmond Halley, ainsi que le plus grand planétarium de son temps, qui exposait les mouvements des corps célestes les plus précis de l’époque.
Graham, un nom qui continue de résonner
À l’image de nombreux inventeurs de son temps, George Graham se sentait à l’aise dans de multiples disciplines. C’est pourquoi on lui doit aussi des découvertes en géophysique, comme celle de la variation diurne du champ magnétique terrestre (autour de 1722/23), et le fait que ce phénomène est à l’origine des aurores boréales. Il a en outre conçu des aiguilles destinées aux boussoles, très utilisées par les spécialistes de l’époque.
Malgré son entrée au sein de la Royal Society en 1721, la vingtaine d’articles qu’il publia dans le journal scientifique de l’institution, et ses nombreuses contributions à des domaines variés, le nom de George Graham tomba quelque peu dans l’oubli lorsque le centre névralgique de l’horlogerie mondiale passa de l’Angleterre à la Suisse. C’est aux deux entrepreneurs suisses Eric Loth et Pierre-André Finazzi, fondateurs en 1995 de British Masters, que l’on doit d’avoir relancé le nom de Graham – aux côtés d’autres maîtres-horlogers britanniques disparus des mémoires – à travers une collection de montres de haute qualité (plus de détails ici).