Le saviez-vous ? C’est la France qui a vu naître l’industrie horlogère moderne, telle qu’elle s’est développée depuis le XVe siècle et telle qu’elle continue de diffuser son savoir-faire dans le monde à partir, notamment, des ateliers suisses et des laboratoires japonais. À certains moments de son histoire, l’horlogerie française tenait le haut du pavé en matière de conception et de fabrication de montres, et les ateliers parisiens étaient les centres vivants de l’excellence nationale. Plongez avec nous dans une histoire dont la mécanique n’a pas toujours tourné sans accroc !
La préhistoire horlogère française
Et si le premier véritable horloger avait été Français ? Vers 1292, le nom de celui qui est considéré comme le tout premier représentant de sa profession apparaît dans l’histoire : Jehan l’Aulogier. À la même époque, le célèbre Roman de la Rose fait référence à une horloge mécanique, pour la première fois dans une œuvre littéraire. C’est sans doute le moment où la quête millénaire de la mesure du temps bascule dans l’univers de la précision, délaissant les instruments qui, jusque là, puisaient le temps dans la course du soleil ou à travers l’écoulement de l’eau.
L’histoire a basculé, il faut le dire, pour répondre aux besoins des détenteurs du pouvoir religieux et politique. Les premières horloges astronomiques prennent place dans les monastères et sur les tours des cathédrales, dans le but d’organiser les heures de prière – et, par là même, la vie des fidèles. Seigneurs et rois s’emparent bien vite de ce grand pouvoir. L’une des premières horloges publiques, conçue par Henri de Vic, est installée sur le Palais de la Cité, à Paris, à la demande de Charles V, en 1370. Le monarque ordonne au passage que toutes les horloges du royaume soient réglées sur celle-ci, une manière d’imposer la suprématie du pouvoir temporel sur celui, spirituel, des ecclésiastiques.
Le temps du développement
Dès lors, la progression des techniques d’horlogerie accélère son tempo. Les mécanismes se miniaturisent, passant des tours aux tables, via notamment l’horloge à ressort en 1430 et les horloges « à porter » de Julien Coudray, fabriquées pour François Ier en 1518. Grâce à l’orfèvrerie, l’horlogerie française se transforme en la production d’objets aussi raffinés que pratiques, de véritables bijoux dont le but n’est plus uniquement de capturer le temps. Les modèles possèdent toujours une aiguille unique, peu précise, jusqu’à ce que l’adoption du calendrier grégorien en 1582, avec sa division du jour en deux fois douze heures, facilite la fabrication des cadrans. Dans la foulée, les premières montres à complications surgissent, pour impressionner les monarques et les gens de Cour qui sont les plus nombreux à solliciter les maîtres-horlogers.
Une rumeur commence à s’élever en provenance de la Suisse voisine, où se développe une véritable industrie de l’horlogerie mécanique à partir de la fin du XVe siècle. Les artisans français, à l’image du Lorrain Thomas Bayard, surgissent un peu partout, mais ils traversent la frontière pour aller apprendre leur métier chez nos voisins. C’est que, dans le Jura suisse, l’horlogerie est déjà plus qu’un artisanat : c’est un art à part entière.
La France commence alors à adopter une position qui restera valable des siècles durant : non seulement ses meilleurs horlogers ont tendance à émigrer (c’est en Angleterre que De Beaufré conçoit la première montre à rubis en 1704, donnant à l’horlogerie britannique un coup d’avance pour un bon moment), mais à défaut de « produire » de grands artisans, le pays s’attache surtout à les faire venir de l’étranger. Ainsi, c’est invité par le régent Philippe d’Orléans que Henry de Sully débarque de Londres à Paris et fonde, en 1718, une manufacture d’horlogerie à Versailles.
La création, par Colbert, de l’Académie des Sciences en 1666, la place nouvelle donnée à l’horlogerie française, et l’édification de l’observatoire de Paris, ne changeront ce statut de pays « hôte » de l’horlogerie qu’à la marge. La révocation de l’Édit de Nantes, en 1685, aggrave les choses : les horlogers de confession protestante fuient vers l’Angleterre, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse, générant un formidable exode de talents. L’horlogerie française aurait alors, très certainement, perdu pour longtemps sa place chèrement gagnée, si le Siècle des Lumières et ses innovations n’étaient venus en sauver les précieux mécanismes.
Du Siècle des Lumières à l’horlogerie française moderne
Période majeure de l’horlogerie française, le Siècle des Lumières bénéficie des avancées prodigieuses dues à ses meilleurs représentants, notamment dans le domaine de la pendulerie : Julien Le Roy, puis Pierre Le Roy, Jean-Antoine Lépine, Louis Dauthiau ou Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (oui, l’inventeur du personnage du barbier Figaro !) conçoivent ou perfectionnent des composants, des échappements ou des horloges astronomiques. Les horloges publiques se multiplient, fabriquées par les frères Jean-André et Jean-Baptiste Lepaute.
La production des horloges reste relativement faible, et les commandes se résument à celles de la Cour. Ce qui n’empêche pas Paris d’être, pour un temps, « the place to be » pour les horlogers. Ferdinand Berthoud vient donner un coup de pouce inestimable aux chronomètres de marine, tandis que le grand Abraham-Louis Breguet, inventeur de la montre perpétuelle, meurt à Paris après avoir acquis la nationalité française.
La Révolution change quelque peu la donne en délocalisant le centre vital de l’horlogerie française : c’est à Besançon, en Franche-Comté, que s’installent les maîtres-horlogers chassés de chez eux, faisant de la ville le premier pôle horloger du pays. Laurent Mégevand y fonde la Manufacture d’Horlogerie Française. À la fin du XIXe siècle, on y produit jusqu’à 90 % des montres françaises, dans quelques 400 ateliers ; et c’est grâce à cette poussée en avant que l’horlogerie française parvient alors à occuper le deuxième rang mondial dans cet art, juste derrière la Suisse.
Cette délocalisation, et son succès mondial, témoignent d’une volonté toute française de résister aux intempéries pour mieux rebondir au cœur de la tempête. Rien ne semble pouvoir enterrer l’horlogerie française… y compris les montres à quartz, qui déferlent, en provenance du Japon, à partir des années 1970. Il faut dire que la technologie du quartz a pour origine des brevets déposés par un ingénieur hexagonal, Marius Lavet ! Ces brevets, enregistrés en 1949, seront exploités par les plus grandes marques horlogères mondiales.
Et aujourd’hui ? Après une période morose durant les décennies 70 et 80, la France a su se repositionner en matière de montres, en lançant dans la bataille ses marques les plus prestigieuses. Les grands acteurs du secteur se sont installés dans des créneaux de niche, le plus souvent en lien avec la mode et l’industrie du luxe ; tandis que les fabricants de composants ont progressivement acquis une renommée planétaire. La preuve : 50 % de la main-d’œuvre qui exerce dans les ateliers suisses serait française. De nos jours, la filière compte encore 3 700 emplois répartis entre 85 entreprises (dont une grande partie dans le Doubs) qui réalisent, chaque année, des chiffres d’affaires oscillant entre 250 et 300 millions (selon Ecostat). L’horlogerie française n’aura donc jamais cessé de faire tourner ses engrenages.
Les grands horlogers et inventeurs français
Voici une sélection des horlogers et inventeurs qui ont contribué à écrire l’histoire de l’horlogerie française (dans l’ordre chronologique) :
- Henri de Vic
- Julien Coudray
- Julien Le Roy
- Pierre le Roy
- Jean-Antoine Lépine
- Louis Dauthiau
- Jean-André Lepaute
- Jean-Baptiste Lepaute
- Henri Lepaute
- Auguste-Lucien Vérité
- Frédéric Japy
- Marius Lavet
- François-Paul Journe
- Richard Mille
- Edmond Jaeger
- Frédéric Boucheron
- Robert Greubel
- Christophe Claret
Les grandes marques françaises
Bien que le monde horloger soit aujourd’hui dominé par les fabricants suisses, les marques françaises ont su se positionner dans le domaine du luxe, avec beaucoup de succès, capitalisant sur la riche histoire de l’horlogerie française. Ainsi, les marques patrimoniales (L. Leroy, Lip, Yema) sont devancées par les marques issues des grands groupes du luxe, au rayonnement mondial (Cartier, Dior, Hermès). Mais d’autres acteurs tirent leur épingle du jeu dans des segments plus pointus, comme la montre militaire (Mer Air Terre) ou la montre conçue pour l’aventure (Patton).
Rares, cependant, sont les garde-temps fabriqués entièrement dans notre pays ; il n’y a guère que Pequignet pour proposer des montres 100 % made in France.